La réalité factuelle et sa symbolique

Home >> Non classé>> La réalité factuelle et sa symbolique
La réalité factuelle et sa symbolique post thumbnail

La réalité factuelle et sa symbolique ou « La géologie méconnue du territoire médical »

            Grace à une double clé de lecture, médicale et psychologique, j’ai eu le privilège de décrypter la souffrance dans sa dimension somatique et dans sa symbolique inconsciente – que ce soit l’inconscient individuel, de groupe, collectif ou familial.

            J’ai essayé d’être rigoureuse, austère et précise dans ma démarche. Je me suis affranchi de toute théorie, école de pensée, idéologie scientifique. J’ai gardé juste mon esprit éveillé, je me suis munie d’une sensibilité accrue, d’un bon accès au symbole et à l’ineffable, d’une bonne dose de tolérance à l’ambiguïté et d’un sens clinique lucide et jamais cynique. Et les choses sont venues vers moi. La parole s’est libérée, le passé a surgit à la surface, les blessures cachées se sont dévoilées une après l’autre.

            Et comme ça j’ai appris que derrière chaque pathologie grave, lourde, il y a une tectonique absconse, une histoire cachée, un trouble encore plus profond et, même si ça peut surprendre, parfois même plus douloureux.

            Derrière chaque ‘’contenu manifeste’’ (pour utiliser le langage psychanalytique) se cache le ‘’contenu latent’’, un message chiffré, pas encore dévoilé.

            La maladie somatique, telle que je l’ai constatée en ophtalmologie, c’est le ‘’contenu manifeste’’, explicite, bien lisible, car il y a rien de plus ‘’bruyant’’, de plus visible, de plus poignant qu’une pathologie lourde d’un enfant, qui secoue toute une famille, qui remets en question les parents et les médecins.

            Les lésions cellulaires, le bouleversement tissulaire, le processus morpho-pathologique enduits par la maladie somatique ne sont, au fond, que les lettres de ce message latent, venu de loin, de très loin même, à travers le temps, les époques, les générations.

            Mais, l’inconscient a une bonne mémoire et tout ce qui a été réprimé, refoulé, nié, éludé, oublié, va être transmis plus loin par le filon familial qui retient tout – dans un flux continu transgénérationnel, selon la logique implacable de l’inconscient collectif.

           Il n’y a rien de magique, d’ésotérique en tout ça, ça ne tient pas d’occultisme ni de la spéculation scientifique stérile.

           La transmission transgénérationnelle de traumatismes – physiques ou psychologiques – est une réalité scientifiquement prouvée, le constat clinique des plusieurs médecins et psychologues, sans oublier la contribution de certains anthropologues et historiens.

           Le gastro-entérologue Ghislain Devroede , professeur de chirurgie à l’université Sherbrooke au Québec constate que cette transmission transgénérationnelle est une constante dans le trouble de l’appareil digestif (de bas voies -sigmoïde, colon descendent, rectum, annus) et publie ses études à partir des années ’95-’96 dans la littérature médicale de spécialité ( « Early life abuses in the past history of patients with gastro-intestinal and pelvic dysfunction », « The biological basis for mind-body interactions ») et à partir des années 2000, et en collaboration avec le célèbre psychologue Anne Ancelin Schutzenberger « Ces enfants malades de leurs parents », ou, tout seul en 2003 « Ce que les maux de ventre disent de notre passé »

           Le gastro-entérologue va constater à travers son expérience clinique et chirurgicale une corrélation étroite entre les pathologies des bas voies digestives et l’abus (sexuel ou d’autorité) subi par un ancêtre, abus jamais verbalisé, ni pardonné, qui s’exprime à, parfois, quelques décennies distance par le biais d’une maladie somatique digestive ou pelvienne d’un successeur.

           L’inconscient (personnel, collectif, familial) a cette étrange qualité – il garde tout, il n’oublie jamais, et tout ce qui a été incrusté une fois laisse des traces à jamais, de la moindre ‘’égratignure’’, le moindre mot, à la souffrance atroce, abominable. Même si ce gardien implacable de la mémoire personnelle et collective est obligé de masquer, de travestir, de rendre ‘’incognito’’, de codifier les souffrances les plus intenses, les drames les plus déchirants, qui, à force d’être insupportables, inacceptables, insurmontables, inexprimables, deviennent de NON-DIT, de TABOUS, de SECRETS, de mensonges, de cachotteries, de DENIS, des ellipses existentielles qui circulent en apnée entre les membres de la famille au fil de générations.

            Le cri étouffé, muet, d’un ancêtre blessé devient le cri de douleur d’un enfant malade, parfois à quelques siècles distance.

            En tant qu’ophtalmologue je me suis posé la question de la symbolique très puissante de cet organe, surtout s’il s’agit d’une pathologie grave, d’autant plus si c’est congénitale ou héréditaire.

            L’œil est l’organe, par définition, de la clarté, de la lumière, de la netteté, donc de la précision.

            Parmi les 5 sens la vue apporte 98% des informations du monde qui nous entoure. Notre orientation spatiale, le cadre de vie, depuis les objets qui font notre intimité jusqu’à l’horizon le plus lointain, tout est scruté par notre regard.

            L’œil est le symbole le plus puisant de la connaissance, de la compréhension, de l’anticipation (la clair-voyance), de la prudence et de la sagesse (la pré-voyance), est notre vision des choses, notre regard sur le monde, notre point-de-vue tellement personnel qui tient de notre unicité et originalité. L’œil est donc le symbole par excellence de notre identité.

            Ce n’est pas du tout surprenant que, dans l’histoire familiale de NT et DS, j’ai découvert des pathologies identitaires graves et multiples.

            L’œil est aussi l’organe de la lumière, de la transparence, de la clarté, du visible, l’objet de prédilection du l’antagonisme lumière-obscurité, brouillé-éclairé, caché-sorti à la lumière du jour, invisible-visible, troublé-net, couvert-dévoilé, alors tout ce qui fait l’alchimie d’un secret de famille bien gardé à travers les générations.

            Ce n’est pas du tout étonnant quand, au bout du travail psychothérapeutique ou au bout du cheminement intérieur du patient, on découvre, médecin et patient ensemble, une corrélation d’une précision à couper-le-souffle entre les maladies graves oculaires et les secrets de famille caché au fil des plusieurs générations ou tout simplement, les secrets de famille lourdes gardé par les parents de l’enfant malade, secrets qui concerne surtout l’identité de l’enfant.

            Dans ces 2 cas analysés dans ce livre il y a 4 symboles forts qui convergent. Il s’agit d’un enfant, il s’agit de l’œil, il s’agit d’une maladie congénitale et il s’agit de la naissance. Chacun de ce 4 éléments fondamentaux représente une clé vers une thématique transgénérationnelle et vers une pathologie transgénérationnelle précise.

                                            Les pathologies identitaires

            A travers mon expérience clinique ophtalmologique et psychothérapeutique, et surtout grâce à ces 2 cas analysés dans ce livre, je peux postuler -comme hypothèse de travail- que toute pathologie grave, congénitale de l’enfant au pronostic sombre et potentiel cécisant signifie toujours un trouble majeur identitaire d’un parent ou d’un aïeul selon la logique transgénérationnelle.

             Dans cette logique il ne faut pas chercher une causalité directe, cartésienne mais plutôt une causalité circulaire, paradoxale.

             L’œil est le symbole de la connaissance, de la compréhension, mais aussi le symbole d’un cheminement intérieur, dans la profondeur de soi-même, d’un voyage dans les ténèbres du passé familial, comme dans le mythe d’Œdipe en Antiquité et le mythe de Tobias dans la mythologie hébraïque. D’autant plus l’œil malade est le symbole d’une identité familiale malade.

            Parmi les événements dramatiques et les traumas qui peuvent marquer à jamais une personne et qui peuvent déclencher une pathologie transgénérationnelle (accident, rejet, abandon, deuil non fait, séparation, injustice, crime, inceste, suicide, abus physique, abus sexuel, abus psychologique, abus d’autorité, stigmate social, déshonneur publique, génocide, massacre, champs de concentration, déportation, guerre, faillite), parmi tout ces expériences dramatiques, le plus délétère, le plus nuisible sur le plan transgénérationnel c’est le trouble identitaire, car il touche le fondement de la personne, sa substance ultime, son contour, sa définition.

            Beaucoup moins spectaculaire que les autres cités, presque banal – car il fait partie du quotidien de la personne, mais ça imprègne tout son être, toute sa vie, ça diffuse dans toute la famille et dans la société, jusqu’au niveau institutionnel, officiel.

            Dans le cas de la petite Diane, atteinte de façon bilatérale par une maladie lourde, congénitale, j’ai découvert pas moins de 9 pathologies identitaires qui mettent en question la filiation, le nom, et même son existence en soi.

            Dans le cas de DS il y a comme thématique transgénérationnelle centrale : les distorsions des passages identitaires de la patiente et des membres de sa famille, la falsification de l’identité, des confusions ou des ambiguïtés concernant les passages identitaires, l’identité rendue secrète.

          Les passages identitaires visé sont :

  • la naissance de D
  • la déclaration officielle de la naissance
  • la déclaration officielle de la paternité
  • le décès de la grand-mère de D
  • le décès du père de D
  • le mariage de la mère de D, mais aussi le mariage de ses grands-parents
  • la première communion de la mère de D, comme confirmation religieuse de l’identité et passage de l’enfant vers la puberté
  • le majorat de maman de D comme passage identitaire vers l’âge adulte

Tous ces troubles identitaires du passé de ses parents et ses aïeux convergent sur un seul enfant, Diane, qui doit payer la dette familiale, concept phare dans la psychologie transgénérationnelle. L’enfant est malade à cause d’une loyauté familiale invisible, un autre concept phare, qui désigne les liens inconscients entre les membres de ma même famille, même situés sur de ‘’branches’’ et niveaux différents de l’arbre généalogique.

             Diane est un enfant réparateur et en même temps un enfant de substitution, de remplacement : un enfant conçu pour réconforter une mère en deuil, un enfant fantasmé, pour remplacer un mort aimé. Son identité profonde est altéré car il n’est pas conçu pour lui-même, mais pour remplacer quelqu’un d’autre, dont la mère n’a pas fait le travail de deuil.

              Diane est un exemple typique d’un décalage entre l’enfant fantasmé, l’enfant désiré et l’enfant réel – trois identités qui ne sont pas superposés.

              Pourtant elle va trouver sa place dans le mythe familial, une fois les secrets, les troubles identitaires et les deuils non faits seront résolus.

Dr Oana MIHAI, Médecin référent CDS Ophtalmologique – SOS OPHTALMO