Le cas de N.T. – « Je ne veux que changer de lunettes »

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« Je ne veux que changer de lunettes »

             N.D. est un garçon de 9 ans, accompagné de sa maman – la raison de sa visite chez l’ophtalmo : ‘’juste’’ actualiser ses lunettes.

             L’anamnèse ne révèle rien de particulier, les antécédents familiaux pareil. Il est suivi 1 fois par an par son ophtalmo habituel qui est en vacances.  Dernière consultation 8 mois auparavant.  Ce besoin de changement de lunettes à moins d’un an m’intrigue. Réponse : ‘’une fatigue visuelle plus marquée les derniers mois, une année scolaire très chargée’’.

             L’enfant est calme, réceptif, perspicace, alors la lecture des lettres est fiable.

AVOD  3/10eme  avec +1,75     AVOG    10/10eme  avec +0,75   sans cycloplégie.   Cette mauvaise acuité visuelle de l’OD m’intrigue et je creuse encore l’anamnèse. Sa mère a toutes les réponses :  ‘’son ophtalmo a trouvé amblyopie de l’OD, due a sa anysométropie. La grand-mère de l’enfant est aussi médecin généraliste et elle est au courant avec cette amblyopie.’’

            Tout le monde autour de Nicolas est persuadé qu’il est un cas ‘’banal’’ ; tous sauf moi. Cette très légère anysométropie ne justifie pas du tout la baisse profonde de l’acuité visuelle de l’OD, d’autant plus que les hypermétropes accommodent bien même à des valeurs beaucoup plus importantes de l’hypermétropie.

             Mon choix est d’examiner Nicolas le plus minutieusement possible. Devant une amblyopie de l’enfant il faut rester sceptique et l’amblyopie doit rester un diagnostic d’exclusion – le dernier à mettre après avoir écarté tout autre pathologie – le plus souvent congénitale, surtout quand son amblyopie dure depuis longtemps.

            L’examen à la LAF montre un segment antérieur normal. Je propose à Nicolas et a sa maman un examen approfondi du FO sous dilatation – un OCT et une cycloplégie sous Skiacol. Et l’examen RNM confirme mes hypothèses. 

            Les cliches RNM en mydriase maximale sous Skiacol confirment ma suspicion et mettent en évidence un exsudat massif, étendu, maculaire et para-maculaire, jaune chaumois, brillant, lipidique.

            Il y a aussi des placards exsudatifs moins marqués, plus éparpilles, autour de l’arcade vasculaire supéro-temporale en disposition para-vasculaire (péri-artériolaire et péri-veineuse).

           Mais le plus inquiétant, comme on voit dans l’imagerie de Nicolas, il y a aussi, au centre du placard exsudatif, un nodule central plus proéminent, jaune foncé, fibrineux, en péri-fovéolaire inférieur. L’aspect est typique pour un stade avancé, plus grave de la maladie et constitue un signe de mauvais pronostic et de faible efficacité du traitement à faire. L’aspect est aussi typique pour la maladie de Coats et même si elle fait partie des maladies rares de la rétine, on doit reconnaitre tout de suite cette pathologie grâce à ce signe presque patognomique.

             Devant cet aspect, j’ai su tout de suite que me confronte à une maladie de Coats dans un stade avancé, négligé, méconnu.

             L’examen en cohérence optique de la région maculaire n’a fait que renforcer mes certitudes et placer la maladie de Nicolas dans un stade 2B. L’OCT révèle un exsudat étendu sous-maculaire avec le soulèvement rétinien mais, heureusement, sans décollement séreux rétinien et avec une hyper-réflectivité de la base de l’exsudat, qui signe la présence d’un début de fibrose – de mauvais pronostic et qui annonce une future résistance au traitement laser.

            L’absence d’un décollement séreux rétinien maculaire massif qu’on voit dans les stades graves (> 3,4,5) est plutôt bon signe, mais la présence du module fibreux central proéminent est de mauvais pronostic et place le cas de N.T. dans un stade 2B avec un pronostic plus sombre.

            La maladie de Coats (ou télangiectasies rétiniennes primitives) représente une affection rare, souvent unilatérale, qui se manifeste au niveau rétinien par la présence de télangiectasies associées à des exsudats rétiniens.

            Il s’agit d’une maladie congénitale sans caractère héréditaire ni familial. L’atteinte apparait en général entre 8-10 ans, et dans >80% de cas touche les garçons.

            Les dilatations vasculaires (télangiectasies) comprennent: ectasie artériolaire, microanévrysmes, phlébectasies, dilatations capillaires  fusiformes, associés à des exsudats rétiniens et, pour le stade très avancé, à un décollement rétinien exsudatif.

            Morphopathologie :  les vaisseaux anormaux sont compromis, il y a une diffusion du sérum et des autres components vasculaires qui s’accumulent dans et en dessous de la rétine. Les anomalies vasculaires peuvent toucher le réseau capillaire, les veines comme les artères, les capillaires périphériques comme le system capillaire maculaire et elles sont groupées en chapelet.

            Les télangiectasies sont ubiquitaires mais sont vues préférentiellement dans la région équatoriale du quadrant temporal supérieur. Comme on voit bien dans l’imagerie de N.T. l’arcade vasculaire temporo-supérieure est entouré par le processus exsudatif, exsudation qui dévoile en fait la présence des anomalies vasculaires. Les anomalies vasculaires – télangiectasies – sont visibles uniquement à l’angiographie (à l’époque, février 2012, l’OCT-A n’existait pas encore).

            Les exsudats sont le plus souvent étendus, sous forme de placard, ou parfois groupés en amas se dirigeant vers le pôle postérieur, même pseudo-tumoral dans la région maculaire.

            La sévérité et la rate de progression est variable, dans les stades plus avancés on peut voir :

  • Un nodule fibrineux central, fibroglial (submacular lipogranuloma, subretinal fibrosis) du à l’exsudation massive – signe de mauvais pronostic – qu’on retrouve dans le tableau clinique de N.T. à sa présentation en consultation.
  • Un décollement maculaire séreux, mais aussi un œdème maculaire
  • Dans le stade 4 on retrouve un décollement de rétine total avec glaucome et rubeosis iridis
  • Stade 5 (ultime) : œil sans perception lumineuse, cécité totale, atrophie bulbaire, l’enucleation du globe oculaire.

Examen clinique :

L’examen du FO est fortement évocateur pour le diagnostic.

Examens complémentaires :

  • L’examen en cohérence optique est utile pour le suivi des phénomènes exsudatifs
  • L’angiographie à la fluorescéine doit confirmer le diagnostic, c’est l’examen qui met en évidence les télangiectasies, les territoires de non-perfusion vasculaire et l’occlusion capillaire, des shunts artério-veineux.

L’évolution de la maladie de Coats :

  • Est lentement progressive mais inéluctable en l’absence de traitement vers aggravation, jusqu’à la cécité.

Le pronostic :

  • La présence d’une exsudation massive dans la région fovéolaire et d’un nodule fibrineux central – comme dans le cas de N.T.- sont des signes de mauvais pronostic.
  • Le décollement rétinien total est de très mauvais pronostic visuel malgré le traitement.

L’Académie Américaine d’Ophtalmologie 2018-2019 cite comme diagnostic différentiel de la maladie Coats les pathologies suivantes :

  • Dominant familial exsudative vitreoretinopathy
  • Retinopathy of prematurity
  • Retinal hemangioblastomas
  • Fascioscapulohumeral muscular dystrophy

Pour les cas de maladie Coats avec exsudation lipidique modéré l’Académie cite :

  • Diabetic retinopathy
  • BRVO
  • Juxtafoveal retinal teleangiectasies
  • Radiation retinopathy

Personnellement, dans le cas sévère de maladie Coats avec décollement rétinien proéminent et leukocoric, je peux citer comme diagnostic différentiel les autres pathologies causant la leukocorie :

  • PHVP
  • ROP
  • Rétinoblastome
  • Granulome de toxocara

Selon Fajnkuchen et Cohen dans ‘’ La rétine médicale de la clinique au traitement’’ le principal diagnostic différentiel est le rétinoblastome chez l’enfant.

Traitement

Le traitement de la maladie de Coats est l’ablation par photocoagulation ou par cryothérapie des anomalies vasculaires avec l’absorption progressive des exsudats rétiniens. Le succès du traitement dépend du stade, la fibrose sous-rétinienne due à la présence prolongée de l’exsudat lipidique diminue l’efficacité de la photo-coagulation. Le décollement rétinien exsudatif subtotal exige une cryothérapie associé à une ponction du liquide sous-rétinien par voie externe. Des techniques plus invasives ont été proposé pour les décollements rétiniens importants : vitrectomie, rétinotomie, injection de silicone ou de gaz.

L’historique de la maladie de N.T.

Quand au parcours de N.T. , ce qui aurait du être un parcours linéaire et direct est devenu un sinueux chemin entre établissements médicaux.

Une fois le diagnostic posé, j’ai adressé en urgence l’enfant dans un grand hôpital d’urgences ophtalmologiques parisien pour l’angiographie à la fluo et le traitement laser. Cet hôpital l’a adressé à un autre établissement médical, celui-ci à un autre, des praticiens ont lancé une polémique qui n’a fait que tarder le début du traitement de quelques mois. Après 2 mois de déambulations entre plusieurs hôpitaux et après 2 mois de polémique entre les praticiens, mon diagnostic initial a été confirmé et l’enfant a enfin commencé le traitement que j’ai exigé initialement.

Comme les autres cas présentés dans mon livre, le cas de N.T. a suscité des confusions, de polémique et a soulevé des dilemmes.

C’est pas du tout dans mon intention de culpabiliser qui que ce soit, on verra bien que chaque cas de ces 3 cas présenté dans mon livre ont eu le même sort : même si le diagnostic a été prompt et clair sa confirmation au niveau de services hospitaliers a exigé un tracé sinueux entre plusieurs établissements médicaux, polémique entre professeurs, confusion, hésitations, divergences de points de vue et même déni,  ce qui signifie une très forte contre-transfère de la part du praticien.

Finalement il a reçu le traitement préconisé à l’Hôpital de Maladies Rares ‘’Robert Debré’’, une photocoagulation faite avec une maitrise exceptionnelle et un suivi à la fois humain, chaleureux et rigoureux.

J’ai revu N.T. à 4 mois distance de son premier traitement laser. Les exsudats commençaient à se résorber, l’AV avait monté à 4/10 – 5/10 , la surface de placards exsudatifs était plus restreinte, seul le nodule fibreux fovéolaire – facteur de mauvais pronostic – était encore sur place.

A 2 ans distance l’enfant avait gagné une seule ligne AVOD 5/10à peine, il n’a jamais progressé plus que ça. Grace à sa nature calme, sereine et lucide il regarde sa maladie avec responsabilité et distance à la fois.

Dr Oana MIHAI, Médecin référent CDS Ophtalmologique – SOS OPHTALMO